
La tendresse (version confinée)
(vidéo envoyée par Catherine Harder – 31/03/2020)
Ville grise Aujourd’hui Viendra la pluie Souffle le vent Décoiffe les gens Depuis longtemps déjà L’eau manque Jaunisse les plantes Les gens marchent sans cabas C’est dimanche. Dans la ville grise Les jours s’éternisent En lendemains sans rien Rideaux de fer baissés, Volets mi clôt Vies recroquevillées Chacun chez soi pour son bien Et personne dans les bistrots Vivre chaque jour comme si C’était le dernier Dire qu’on peut être parti En trois petits jours singuliers Détresses respiratoires Nos masque devenus passoires La vie est un jeu de dé Ce virus a tout détraqué. Pourtant c’était déjà joué Les dés étaient pipés Le gouffre était creusé N’avions plus qu’à faire un pas Un petit pas de trois Un petit pas de roi déchu Nous jetant toi ou moi Avec ou sans fichu Au fond du trou, à trépas | Mais rien n’a changé Tant que la mort reste un possible Elle n’est pas là Pourquoi se tourmenter Tout reste possible Autant en profiter ici-bas Même sans avenir La vie reste un cadeau Gaspiller un seul jour Une seule heure Est un crime d’état L’avenirNe nous appartient pas De tout temps Du passé à maintenant La vie a été ce jeu de dé A chacun d’en profiter Confiné ou pas La vie nous dépasse Ouvrons la fenêtre De vitre ou d’écran La vie est à coté Peut on vivre sans communiquer Sans recevoir ou donner Sans partager ce désir d’aimer De rencontrer Pour l’éternité Pour quelques temps Pour un seul jour Pour un seul instant Capté dans le vent (envoyé par Jean-Claude Serres le 31/03/2020) |
Il faut
Du vide
Pour attirer le plein
Pour que s’explore
Le songe
Pour que s’infiltre
Le souffle
Pour que germe
Le fruit
Il nous faut
Tous ces creux
Et de l’inassouvi.
(poème d’Andrée Chédid extrait de Territoires du souffle – envoyé par Elodie)
Au voleur !
Impossible ! S’en mettre plein les poches, au vu et au su de tous sans que personne ne lève le petit doigt !… Avec ce monde dans le souk ? Quelqu’un aurait pu le remarquer, voire le suivre ou le dénoncer immédiatement. Mais non… Après, trop tard, puisque personne ne prononçait plus que des mots éparpillés et dénués de logique.
Aux coups frappés à ma porte ce matin-là, j’ai compris qu’on avait besoin de moi, le plus fin limier de la région. Résoudre l’énigme : pourquoi tout le monde était quasi aphone. Dans un souk, on le sait, les mots pratiquent des voyages interplanétaires, le désert apporte ses turbans, les femmes mariées (ou pas) plongent leur nez dans les fleurs turquoises, la tête est prise dans le vertige des accents musiciens. Désormais les marchés ressemblaient franchement à des veillées d’enterrement.
Alors, sans attendre, je me suis mis en chasse. Pas de temps à perdre : l’épidémie se propageait comme une traînée de poudre. D’ici à ce que ça contamine tout le pays, voire la planète entière… La piste, évidente, c’était les rassemblements. J’ai commencé par arpenter les rues, à fréquenter les échoppes en tous genres. Toboggans de victuailles, montagnes de tissus multicolores. Plus les allers-retours sur les quais de gare… Mais toujours, toujours, le voleur de mots m’échappait. Pas de beaucoup. Un zeste plus rapide que moi. Il devait m’imaginer tombé du ciel ou de la dernière pluie, aveugle et sourd, plus attiré par les odeurs de tomates et d’épices qu’intéressé par la filature à laquelle je me coltinais pourtant sans relâche. Ça devait bien le faire marrer !
Et c’est là que je l’ai vu. Pourquoi j’ai su que c’était lui ? Facile : dans la ville, tout le monde marchait à pas pressés, sans sourciller. Sauf lui, solitaire attablé au café devant un kawa bien serré. Quel culot ! Il ne cherchait même pas à se cacher. De temps en temps, négligemment, il plongeait la main dans sa poche et en sortant une pincée invisible qu’il lâchait et un mot résonnait, proche ou lointain. Je l’ai observé se délecter les bouts de phrases qui naissaient au gré du hasard, pétales froissés qui avaient bien besoin de se dépoussiérer.
Quand j’ai jugé le moment opportun, je ne lui ai pas laissé l’occasion de réagir : je l’ai saisi, secoué et tous les mots volés se sont échappés. De nouveau dans la ville, le brouhaha roulait son chahut. Mission accomplie !
(Véronique Pédréro le 30/03/2020)
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